Conservation du pouvoir en Afrique, une obsession politique.
Dans de nombreux pays africains, la conservation du pouvoir ne relève pas simplement d'une stratégie électorale. Elle est devenue une priorité existentielle pour les élites politiques, un réflexe de survie dans des contextes marqués par l'instabilité institutionnelle, la fragilité des contre-pouvoirs et la centralité du pouvoir dans l'accès aux ressources. Cette obsession du pouvoir, loin d'être un simple caprice autoritaire, s'ancre dans une réalité politique, économique et symbolique complexe.
Une légitimité toujours en construction
Dans plusieurs États africains, la légitimité politique ne repose pas sur des institutions solides ou sur une alternance démocratique apaisée. Elle est souvent construite à travers des réseaux clientélistes, des alliances ethno-régionales ou des récits historiques. Cette instabilité pousse les dirigeants à verrouiller le système, à modifier les constitutions ou à instrumentaliser les institutions pour éviter toute remise en cause. Le pouvoir devient alors un rempart contre l'incertitude, une citadelle à défendre coûte que coûte.
Le pouvoir comme accès aux ressources
Dans des économies où l'État reste le principal pourvoyeur d'opportunités, conserver le pouvoir signifie conserver l'accès aux marchés publics, aux postes stratégiques, aux rentes pétrolières ou minières. Le pouvoir politique est aussi économique. Il permet de redistribuer, de contrôler, de financer. Perdre le pouvoir, c'est perdre l'accès à ces leviers, et parfois s'exposer à des audits, des poursuites ou des règlements de comptes.
Faiblesse des contre-pouvoirs
La séparation des pouvoirs, bien que souvent inscrite dans les textes, reste largement théorique. Le Parlement, la justice, les médias ou la société civile sont trop souvent instrumentalisés ou fragilisés. Cette absence de contrôle réel favorise la concentration du pouvoir exécutif et renforce les dynamiques de personnalisation. Le chef devient l'État, et l'État devient le chef.
Une charge symbolique héritée du colonialisme
Le pouvoir en Afrique est aussi porteur d’une charge symbolique forte. Héritier des structures coloniales centralisées, il est perçu comme le lieu ultime de reconnaissance sociale et politique. Être au pouvoir, c'est incarner la nation, c'est représenter l'ordre, c'est parfois même incarner le sacré. Cela renforce symboliquement les logiques de succession dynastique, de patrimonialisation du pouvoir et de culte de la personnalité.
La peur de l'alternance
Dans des contextes où l'alternance est rare, conflictuelle ou violente, les dirigeants en place craignent l'après-pouvoir. Ils redoutent les représailles, les humiliations, les procès. Le pouvoir devient alors un bouclier, une protection contre l'incertitude juridique et politique. Cette peur alimente les stratégies de verrouillage constitutionnel, de manipulation électorale ou de répression des oppositions.
Vers une nouvelle culture politique ?
Malgré ces dynamiques, des signaux faibles émergents : montée des mouvements citoyens, pression internationale pour des réformes, renforcement de certaines institutions locales. Mais ces avancées restent fragiles, souvent récupérées ou neutralisées par les systèmes en place. La philanthropie, les ONG ou les projets de développement peuvent aussi être instrumentalisés pour renforcer le pouvoir, ou pour le rééquilibrer.
Et maintenant ?
La conservation du pouvoir en Afrique ne peut être comprise sans une lecture croisée des enjeux économiques, culturels et institutionnels. Elle est à la fois une stratégie de contrôle, une réponse à des fragilités structurelles, et une quête de légitimité dans des environnements politiques instables. Pour sortir de cette logique, il faudra repenser la gouvernance, renforcer les contre-pouvoirs, et surtout, construire une culture politique fondée sur la responsabilité, la transparence et l'alternance apaisée.
Gontran Eloundou
Analyste politique
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