🇨🇲 Cameroun : recomposition gouvernementale le casse tête pour Paul Biya
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Alors que Paul Biya vient d’être investi pour un huitième mandat à la tête du Cameroun, les regards se tournent vers la composition de son nouveau gouvernement. Réélu avec 53,66 % des voix dans un climat de contestation et de polarisation politique, le chef de l’État fait face à une équation complexe : comment récompenser ses soutiens sans fragiliser l’ossature traditionnelle du régime ?
 Une victoire à l’arraché, des attentes brûlantes
La présidentielle du 12 octobre 2025 a laissé des traces. Malgré sa victoire, Paul Biya a vu émerger de nouveaux acteurs politiques, des figures locales et régionales qui ont contribué à sa réélection avec des scores solides dans certaines zones stratégiques. Ces soutiens attendent désormais une reconnaissance politique, souvent sous forme de postes ministériels ou de responsabilités administratives.
Mais cette dynamique entre en collision avec la structure historique du pouvoir, dominée par des figures clés comme le Secrétaire Général de la Présidence (SGPR), les ministres fidèles et les conseillers de longue date. À 92 ans, Paul Biya reste attaché à son cercle rapproché, qui lui assure stabilité, loyauté et maîtrise des rouages institutionnels.
Un casting gouvernemental sous haute tension
La recomposition du gouvernement ne peut se faire sans tenir compte de plusieurs impératifs :
•      Le devoir de récompense : entre reconnaissance politique et calcul stratégique
Dans le sillage de la victoire de Paul Biya, la pression monte autour de la formation du nouveau gouvernement. Au-delà des équilibres institutionnels et régionaux, la logique de récompense électorale s’impose comme un impératif politique. Plusieurs acteurs locaux, responsables de campagne, élus et figures communautaires ont joué un rôle décisif dans la mobilisation des électeurs, notamment dans les zones où le score du président a été significativement renforcé.
Ces soutiens attendent désormais une reconnaissance concrète : postes ministériels, nominations dans les entreprises publiques, ou intégration dans les cercles décisionnels. Ce devoir de récompense s’inscrit dans une tradition politique bien ancrée au Cameroun, où la fidélité électorale se traduit souvent par une promotion institutionnelle.
Mais cette logique pose plusieurs défis :
•      Comment intégrer ces nouveaux profils sans déstabiliser les équilibres internes du régime ?
 Créer des postes intermédiaires ou techniques
Plutôt que de bouleverser les ministères stratégiques (Défense, Finances, SGPR), le président peut nommer les nouveaux soutiens à des postes de ministres délégués, secrétaires d’État ou directeurs généraux. Cela permet de valoriser leur engagement électoral sans fragiliser les piliers du régime.
 Jouer sur les équilibres régionaux
Paul Biya pourrait intégrer certains profils en tenant compte des zones géographiques ayant fortement voté pour lui, tout en respectant les équilibres ethno-régionaux traditionnels. Cela permettrait de récompenser sans exclure, en évitant les frustrations territoriales.
 Miser sur des profils technocratiques issus de la société civile
En nommant des personnalités reconnues pour leur expertise (économie, santé, numérique), le président peut répondre aux attentes de renouvellement tout en désamorçant les tensions politiques. Ces profils sont souvent perçus comme neutres et efficaces.
Renforcer les fonctions de coordination
Créer ou réactiver des postes de coordination (ministres chargés de missions, conseillers spéciaux, coordinateurs de projets présidentiels) permet d’intégrer les nouveaux sans toucher aux ministères clés, tout en leur donnant une visibilité nationale.
Maintenir les figures historiques tout en préparant la relève
À 92 ans, Paul Biya pourrait amorcer une transition douce, en gardant ses proches collaborateurs tout en formant une nouvelle génération autour d’eux. Cela rassure les fidèles tout en envoyant un signal de modernisation
•      Comment éviter les frustrations dans les régions ou partis qui se sont sentis marginalisés ?
Dans un contexte post-électoral marqué par des tensions et des attentes fortes, la gestion des frustrations régionales et partisanes devient un enjeu majeur pour la stabilité du régime. Certaines zones ou formations politiques, bien que moins décisives dans la victoire du président, revendiquent leur place dans l’architecture gouvernementale.
•      Comment concilier renouvellement et continuité dans un gouvernement marqué par la longévité présidentielle ?
Le président devra donc arbitrer entre reconnaissance politique et cohérence gouvernementale, tout en gardant le contrôle sur les piliers historiques du régime, comme le SGPR et les ministres stratégiques.
•      La préservation des équilibres régionaux et ethniques, toujours sensibles dans la configuration politique camerounaise.
•      La pression populaire pour un renouvellement, notamment de la part des jeunes et des classes moyennes urbaines, qui réclament des visages nouveaux et une gouvernance plus dynamique.
•      La nécessité de maintenir les piliers du régime, notamment les ministres stratégiques (Défense, Finances, Communication) et les proches collaborateurs du président.
Entre réforme annoncée et conservatisme assumé
Lors de son discours d’investiture, Paul Biya a promis un « nouveau souffle », évoquant des réformes dans l’économie, la gouvernance et l’emploi des jeunes. Mais les observateurs restent prudents : le rituel présidentiel de la recomposition gouvernementale est souvent marqué par des ajustements marginaux, plus symboliques que structurels.
Le président pourrait opter pour une stratégie mixte : maintenir les figures clés du régime tout en intégrant quelques nouveaux profils, issus de la société civile ou des régions ayant fortement voté pour lui. Ce dosage viserait à apaiser les tensions post-électorales tout en consolidant son pouvoir.
 Une attente qui devient impatience
Dans les rues de Yaoundé et Douala, l’impatience monte. Les Camerounais attendent des signaux forts : lutte contre la corruption, relance économique, amélioration des services publics. Le gouvernement à venir sera scruté comme le reflet des intentions réelles du président : réforme ou continuité ?
Gontran Eloundou
Analyste Politique
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