Grève des camionneurs dans l'Adamaoua : un révélateur des fragilités de la gouvernance au Cameroun

La grève déclenchée par les camionneurs dans l'Adamaoua, à la suite d'un incident survenu à Meiganga entre un chauffeur et un gendarme, dépasse le simple cadre d'un conflit ponctuel. Elle met en lumière les tensions structurelles qui traversent la gouvernance camerounaise et révèle la fragilité des relations entre l'État et les acteurs économiques essentiels au fonctionnement du pays. Les transporteurs, en immobilisant leurs véhicules sur les corridors stratégiques dépendant du Cameroun au Tchad et à la République centrafricaine, ont rappelé à tous que leur rôle dépasse le transport de marchandises : ils sont les garants de la continuité économique et de l'intégration régionale.
Cette crise illustre une problématique récurrente : le manque de respect et de considération accordé aux acteurs économiques par les institutions de contrôle. Les camionneurs dénoncent depuis longtemps les abus et humiliations lors des contrôles routiers, qui traduisent une gouvernance marquée par l'arbitraire et l'absence de dialogue. L'incident de Meiganga agit comme un catalyseur d'un mécontentement profond, révélant que la violence symbolique et physique exercée par les forces de l'ordre n'est pas seulement une atteinte individuelle, mais une menace collective contre la dignité des travailleurs et la stabilité des échanges.
Sur le plan politique, cette grève expose les limites d'un système qui privilégie la coercition au détriment de la concertation. Elle a mis en évidence la difficulté du pouvoir à instaurer un climat de confiance avec les corps intermédiaires, pourtant indispensable à la régulation sociale. En paralysant les corridors économiques, les camionneurs ont montré que la gouvernance ne peut se réduire à l'autorité administrative : elle doit intégrer le respect des acteurs économiques et la reconnaissance de leur rôle stratégique. L'absence de réponse rapide et apaisée des autorités risque d'alimenter un sentiment d'injustice et de défiance, renforçant la perception d'un pouvoir déconnecté des réalités quotidiennes.
Sur le plan social, les conséquences de cette grève sont immédiates. Les marchés de Bangui et de N'Djamena commencent déjà à ressentir les effets de la paralysie, avec une hausse des prix et une raréfaction des produits importés. Cette situation rappelle la dépendance des pays voisins vis-à-vis des corridors camerounais et souligne la responsabilité du Cameroun dans la stabilité régionale. En ce sens, la crise des camionneurs dépasse les frontières nationales et devient un enjeu de coopération et de solidarité régionale.
En définitive, la grève des camionneurs dans l'Adamaoua est un révélateur des fragilités de la gouvernance camerounaise. Elle montre que le respect des acteurs économiques n'est pas une option mais une condition sine qua non de la stabilité politique et sociale. Elle invite à repenser les rapports entre l'État et les travailleurs, à privilégier le dialogue plutôt que la répression, et à reconnaître que la dignité des acteurs économiques est au cœur de la construction d'un Cameroun plus juste et plus solidaire.
Gontran Eloundou
Analyste politique
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