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Élection présidentielle au Cameroun : le Jambo politique se joue après les urnes

Au Cameroun, le jeu de cartes populaire connu sous les noms de Njambo, FapFap ou Map ne se limite pas aux quartiers animés de Yaoundé ou Douala. Il semble désormais inspirer les manœuvres politiques post-électorales, où chaque acteur avance ses cartes avec prudence, bluff ou panache. Comme dans une partie de FapFap, les candidats et partis ayant pris part au scrutin présidentiel de 2025 négocient, observent, et parfois « koratent » leurs adversaires dans une ambiance tendue, où la stratégie prime sur la transparence.

Issa Tchiroma Bakary, figure controversée du paysage politique, a lancé une autoproclamation anticipée de victoire, avant même la publication des résultats officiels par Elecam. Ce coup de poker, signé par l'Union pour le Changement 2025, a provoqué une onde de choc dans le camp du pouvoir et chez les autres candidats. À l'image d'un joueur qui pose un « coubi » sans attendre le tour, Tchiroma tente de forcer la main au Conseil constitutionnel, tout en mobilisant ses soutiens pour une reconnaissance populaire de sa victoire. Cette stratégie, bien que risquée, s'inscrit dans une logique de communication politique agressive et de conquête symbolique du pouvoir.

Face à cette manœuvre, les autres acteurs politiques adoptent des postures variées. Certains, comme Cabral Libii ou Joshua Osih, ont déposé des recours auprès du Conseil constitutionnel, dénonçant des irrégularités, des fraudes et des entraves au processus électoral. Onze recours ont été enregistrés, allant de la demande d'annulation partielle ou totale du contrôle à la récusation des membres d'ELECAM. Mais comme dans le Njambo, où l'on peut retirer une carte pour éviter la "banque", le PCRN s'est rétracté après avoir déposé son recours, illustrant une stratégie de réponse élaborée ou de repositionnement tactique.

Le pouvoir, quant à lui, joue la carte de la légalité. En dénonçant un "plan de déstabilisation" orchestré par Tchiroma, le gouvernement rappelle que seul Elecam est habilité à proclamer les résultats. Mais derrière cette posture institutionnelle, des tractations s'opèrent pour contenir la contestation et préserver l'équilibre post-électoral. Le RDPC, tel un joueur expérimenté, garde ses cartes près du cœur, prêt à sortir un "double korat" si nécessaire. Cette gestion de crise électorale s'appuie sur des leviers institutionnels, juridiques et médiatiques.

Les partis ayant participé au processus électoral, même sans candidat majeur, jouent un rôle d'arbitre ou de relais. Certains se positionnent comme médiateurs, d'autres comme faiseurs de roi. Leur stratégie post-électorale consiste à capitaliser sur leur participation pour négocier des alliances, des postes ou une visibilité accrue. Dans le FapFap, ces acteurs seraient les joueurs qui ne gagnent pas la partie, mais influencent son déroulement par leurs choix tactiques. Le retrait de certains recours illustre cette logique de repositionnement, où l'on préfère rester dans le jeu plutôt que de s'exposer à une défaite publique.

La société civile, elle aussi, entre dans la partie. Des plateformes citoyennes, des observateurs indépendants et des influenceurs politiques analysent les coups joués, dénoncent les irrégularités ou appellent au calme. Leur rôle est comparable à celui des spectateurs du Njambo, qui commentent, influencent parfois, mais ne jouent pas directement. Pourtant, leur voix peut faire basculer l'opinion, surtout dans un contexte de méfiance généralisée. Le débat public devient alors un terrain stratégique, où chaque mot compte.

La stratégie post-électorale des acteurs politiques camerounais ressemble à un parti de FapFap où personne ne veut être "la terre". Entre bluff, alliances, repositionnements et coups d'éclat, chacun tente de tirer son épingle du jeu. L'autoproclamation de Tchiroma agit comme un joker inattendu, obligeant les autres à revoir leurs calculs. Le Conseil constitutionnel, tel un arbitre de quartier, devra trancher sans perdre sa légitimité. Le suspense reste entier, et chaque jour apporte son lot de rebondissements.

En définitive, le processus électoral camerounais de 2025 révèle une dynamique où la politique se joue aussi dans l'informel, le symbolique et le stratégique. Le parallèle avec le Njambo n'est pas qu'une métaphore : il illustre la manière dont les acteurs politiques camerounais intègrent les logiques locales de jeu, de négociation et de rapport de force. Et comme dans toute partie bien menée, ce n'est pas toujours celui qui commence fort qui gagne — mais celui qui sait quand poser ses cartes.

Gontran ELOUNDOU

Analyste politique

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