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Voici le secret du succès de ces pasteurs, qui défient les hommes politiques.

Ils étaient entre 300 et 500 000 Camerounais amassés aux abords du Stade de Japoma. Une foule immense dont la présence a paralysé la circulation à l’entrée de la ville pendant plus de 4 heures de temps. Voiture, motocyclette et personnes humaine ne parvenaient plus à se mouvoir. Pour quelle raison ?

Des Camerounais venant de tous bords et de tous les horizons, de tout âge et de toutes les classes, ont convergé en ce lieu pour assister à la prestation du pasteur Chris Ndikumana. Un moment d’exaltation pour les chrétiens fidèles des églises dites de « réveil » ! Tous à la recherche d’une onction, d’une bénédiction, d’un signe ou d’un miracle. Comment ce pasteur de nationalité Burundaise a-t-il réussi à convaincre ce grand nombre de Camerounais de faire le déplacement afin de bénéficier de ses enseignements ? À croire que la religion est désormais plus importante chez nous que les activités politiques ? Nous les voyons au quotidien, Pasteur Ndeffo, Pasteur Ekane, tous suivent les traces de leur prédécesseur que fut Tsala Essomba, ou encore Dieunedort Kamdem.  Un homme politique serait-il capable d’en faire autant ?

Nous avons ici affaire à un phénomène de société. Et les phénomènes de société sont des comportements, des actions ou des événements qui se produisent en raison d’une influence sociale, y compris des influences sociétales contemporaines et historiques.  Ils sont souvent le résultat de processus multiformes qui ajoutent des dimensions toujours croissantes à mesure qu'ils opèrent à travers des nœuds individuels de personnes. Pour cette raison, les phénomènes sociaux sont intrinsèquement dynamiques et opèrent dans un contexte temporel et historique spécifique. Les phénomènes sociaux sont des données observables et mesurables.

Des notions psychologiques peuvent les motiver, mais ces notions ne sont pas directement observables à travers les phénomènes qui les expriment.  Pour certains chercheurs, l'explication d'un phénomène social consiste à mettre en évidence ses causes, tandis que pour d'autres, son explication repose sur les raisons qui ont poussé les individus à agir comme ils l'ont fait. Le "fait" est en quelque sorte un phénomène arrêté, précis, déterminé, ayant des contours que l'on peut saisir et dessiner : il implique une sorte de fixité et de stabilité relatives. Le phénomène, c'est le fait en mouvement, c'est le passage d'un fait à un autre, c'est le fait qui se transforme d'instant en instant.

Au Cameroun, les faits et les phénomènes de société sont en mutation permanente. Il s’agit par exemple des phénomènes politiques qui ont eu pour conséquences des mutations de notre société au début des années 1990. Aujourd’hui, le phénomène le plus observable est le phénomène religieux. Le samedi 18 novembre aura été une journée mémorable dans l’observation du phénomène religieux au Cameroun.

Chris Ndikumana, pasteur Burundais a fait une démonstration de sa capacité de mobilisation dans un pays qui n’est pas le sien. C’est une manifestation de grande ampleur, encadrée par les forces de l’ordre qui a reçu l’approbation des autorités administratives. Inédit en plus, la présence de l’autorité administrative suprême de la région du littoral, en la personne même du Gouverneur. Ce dernier a approuvé la manifestation et y a participé.

Cette présence laisse transparaître le choix et la position des autorités publiques camerounaises vis à vis des manifestations publiques : les manifestations religieuses ne souffrent d’aucune restriction ; elles ont d’ailleurs la part belle. Faudrait-il penser que la présence du phénoménal pasteur « Kanguka » à Douala soit une réelle émanation de la volonté des l’Etat du Cameroun ? Une présence auréolée par une autre et pas des moindres, la première autorité administrative du littoral : le gouverneur de la région.

À regarder de près, combien d’hommes politiques camerounais sont-ils capables de rassembler autant de monde ?

Au Cameroun, toutes les manifestations à caractère politique sont interdites : marche « pacifique », rassemblement ou encore réunions ; lorsqu’on est chef de parti politique,  il est difficile de s’exprimer librement, parce que l’environnement politique est phobogène. Un environnement aux lois rédhibitoires dont les exceptions sont souvent répressives. Là n’est pas le sujet de notre enquête. Par ailleurs nous sommes étonnés de constater que la religion vient supplanter la politique ! l’éducation des masses reposent-elles désormais sur la propension à opérer des miracles ? Comment peut-on comprendre que la construction de la pensé et l’imaginaire politique soient dévolu aux prêtres et aux pasteurs ? l’évènement de Douala est une illustration de la dérive sociétale.  Un pays où seuls les « hommes de Dieu » et les artistes ont la parole. Nous nous éloignons davantage de la maxime romaine de Jules Cesar qui disait : « panem et circenses », du pain et des jeux. Le pain n’étant plus à la portée de tous les citoyens, l’on glisse petit à petit vers « Deus et Circenses » Dieu et les jeux.

Les tribunes dédiées aux « hommes de Dieu » font foule. Ces stars de la parole divine, ces prophètes des temps modernes sont désormais, les seuls capables de porter la voix sur l’espace public.

Retenons qu’à la fin de la croisade du pasteur Dikumana, la circulation a été bloquée, pendant 4 heure. L’ordre publique a été bel et bien troublé. L’on a déploré des vols, des disparitions d’individus, heureusement pas de morts, Dieu soit loué. Tous ces incidents ci-dessus cités sont bien ceux que l’on retrouve dans les troubles à l’ordre public craint par les autorités administratives. Les nouveaux acteurs et leaders politiques se recrutent dans les « hommes de Dieu : Ndeffo, Ekane ou Dikumana, ils prêchent où et quand ils veulent et peuvent mobiliser des stades et des esplanades sans être inquiétés de quoique ce soit.

L’orientation donnée au mode de pensée politique des Camerounais semble tournée de plus en plus vers Dieu. Il est courant de voir dans les rues, sur les pancartes et panneau d’affichage publicitaires plus de pasteurs, de prophètes, que de politiciens. Contre toute attente, les annonces de meetings, ou de réunion d’acteurs politiques en campagnes ont complètement disparu au profit des hommes de Dieu. S’agit-il là d’une stratégie savamment pensée ? Si oui, Quelles en sont les conséquences ?

Gontran ELOUNDOU

Analyste Politique

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